ACTUS DÉFENSE - Vente de 20 EUROFIGHTER à la Turquie : contexte et conséquences
ACTUS DÉFENSE - Vente de 20 EUROFIGHTER à la Turquie : contexte et conséquences

Le Président de la République de Turquie, M. Recep Tayyip ERDOĞAN, et le Premier ministre britannique, M. Keir STARMER, ont signé, le 27 octobre 2025 à Ankara, un accord pour la vente de 20 chasseurs-bombardiers EUROFIGHTER TYPHOON. Les premières livraisons sont prévues en 2030.
Le montant du contrat diffère selon M. STARMER ou le porte-parole du ministère turc de la Défense nationale. Pour le premier, il s’élève à 10,7 milliards de dollars en incluant les retombées économiques dans l’écosystème britannique, et de futures options dont les détails ne sont pas connus. Le second s’aligne sur une déclaration de BAE Systems, maître d’œuvre du projet, qui fait état de 5,4 milliards de livres sterling (environ 7 milliards de dollars) couvrant la construction en série de 20 avions neufs de dernière génération (Tranche 4), ainsi que la vente de nacelles, de missiles air-air dont le METEOR, et de missiles air-sol BRIMSTONE.
En parallèle, la Turquie est en cours de discussions avec le Qatar et Oman pour l’achat de 24 EUROFIGHTERd’occasion, 12 à chaque pays, ce qui porterait le nombre de ces appareils dans l’armée de l’Air turque à 44. Une option d’achat de 20 appareils neufs supplémentaires a été évoquée, mais sans qu’il soit précisé si ces avions s’ajouteront, ou se substitueront, aux 24 avions d’occasion.
L’armée de l’Air turque comprend aujourd’hui environ 250 chasseurs-bombardiers : un peu moins de 20 F-4E PHANTOM TERMINATOR 2020, très vieillissants même s’ils ont été modernisés par les programmes ŞİMŞEK et IŞIK, et 234 F-16C/D FIGHTING FALCON qui ne sont pas de la dernière génération (35 Block 30M en cours de modernisation par les programmes ÖZGÜR I et II, 170 Block 40/50M et 29 Blok 50+, les Block 40/50M et 50+ étant toutefois modernisés par les programmes PO-III et F-16 MSM/CCIP). L’achat de 79 kits de modernisation pour les 29 Block 50+ et 50 des 170 Block 40M a été abandonné pour des raisons budgétaires, l’industrie de défense turque devant désormais se charger de ce programme. On comprend donc que le contrat d’achat des EUROFIGHTER était crucial pour freiner le déclassement de l’armée de l’Air turque.
L’intérêt de la Turquie pour cet avion ne date pas d’hier. Il remonte aux années 1990, au moment où l’appareil était en cours de développement et n’avait pas encore effectué son premier vol. Les pourparlers entre la Turquie et le consortium étaient réguliers, mais ils ne se concrétisaient pas car Ankara hésitait entre l’EUROFIGHTER, pour des raisons de spécificités du contrat et de coûts d’acquisition et de maintenance, et le F-35/JSF qu’elle a fini par rejoindre, en 1999, en tant que partenaire de niveau 3 (1)
À la suite de son éviction du programme F-35 le 17 juillet 2019, en raison de l’achat des systèmes russes de défense sol-air et antimissile S-400, la Turquie a débuté son programme d’avion de chasse national, le TF-X/KAAN. Selon les dernières déclarations politiques, cet appareil sera livré aux forces à partir de 2030, mais cette échéance est sans cesse repoussée. Ainsi, Ankara fait régulièrement pression sur Washington pour réintégrer le programme F-35, mais sans succès à ce stade malgré un optimisme affiché. Pour preuve que la relation avec les États-Unis n’est pas tout à fait stabilisée, les négociations pour l’achat de 40 F-16 Block 70 VIPER, un appareil qui permettrait à l’armée de l’Air turque d’accroître sa capacité opérationnelle en attendant mieux, n’ont pas encore abouti. L’acquisition du RAFALE n’est pas envisageable compte tenu du partenariat stratégique signé entre la France et la Grèce. Le GRIPEN suédois n’est, quant à lui, pas un avion de 5egénération que recherche la Turquie. La Chine et la Russie sont ainsi les seuls autres pays au monde en mesure proposer un avion de chasse opérationnel de 5e génération, mais la « leçon des S-400 » a probablement dû dissuader Ankara d’envisager cette option. Alors, l’unique solution restante était l’EUROFIGHTER, mais il a fallu lutter pour lever l’obstacle allemand, principalement lié aux désaccords concernant le respect de l’État de droit en Turquie. C’est chose faite depuis le 23 juillet 2025 : l’arrêt de la chaîne de production de Warton au Royaume-Uni, et les menaces qui pèsent sur celle de Manching, en Allemagne, ont probablement pesé lourd dans la décision de Berlin.
La vente des 20 EUROFIGHTER du Royaume-Uni à la Turquie s’inscrit dans le cadre d’un processus « gagnant-gagnant ». Pour la Turquie, elle est une étape supplémentaire vers la voie de l’autonomie industrielle de défense car il est fort probable que le contrat soit assorti de transferts de technologies, surtout si, comme le sous-entendent certaines déclarations politiques, une fabrication commune des avions et une intégration de munitions nationales turques sont envisagées. Pour le Royaume-Uni, le Premier ministre travailliste ne peut que se féliciter des retombées économiques avec la création sur 20 000 emplois, selon ses déclarations. Dans tous les cas, les deux parties citent en exemple la relation stratégique turco-britannique, en mettant en avant qu’elle contribue efficacement aux renforcements des capacités de l’OTAN.
(1)La Turquie a rejoint en 1999 la phase de développement du concept et, en 2002, la phase de développement et de démonstration du système en tant que partenaire de niveau 3.
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Article rédigé par Patrice MOYEUVRE, Officier Général en 2s de l'armée de l'air et de l'espace française, chercheur à l'IRIS et Directeur des projets de défense et de sécurité au sein d'Advantis.










