Les partenariats turco-américains dans la défense et l’énergie s’adaptent au nouveau paysage transatlantique
Les partenariats turco-américains dans la défense et l’énergie s’adaptent au nouveau paysage transatlantique

La semaine suivant les élections américaines de novembre dernier, la toute nouvelle plateforme American Turkish Business Roundtable (ATBR) s’est réunie à Istanbul pour une conférence de presse durant laquelle les directeurs de l’ATBR, les généraux Jim Jones et Tod Wolters (tous deux à la retraite et anciens commandants suprêmes des forces alliées en Europe - SACEUR), ont abordé l’impact de la victoire électorale de Donald Trump sur les relations américano-turques. À ce moment-là, les liens bilatéraux se renforçaient, notamment à travers des partenariats dans le domaine de la défense en réponse à la guerre en cours en Ukraine. L’annonce de la coentreprise entre Repkon et General Dynamics, baptisée Repkon USA, visant à produire des munitions de 155 mm pour l’Ukraine, soulignait à la fois la fragilité de la base industrielle de défense américaine et les avantages à accélérer le partenariat avec la Turquie tout en approfondissant son rôle dans la chaîne d’approvisionnement de l’OTAN.
Le consensus à Istanbul était clair : la relation entre les États-Unis et la Turquie était sur le point de s’améliorer encore. Cette attente reposait non seulement sur la relation historiquement positive entre le président Recep Tayyip Erdoğan et Donald Trump, mais aussi sur leur approche commune de la politique étrangère : pragmatique, transactionnelle, et axée sur les intérêts stratégiques économiques et sécuritaires. Pourtant, quatre mois plus tard, le paysage sécuritaire transatlantique a de nouveau été profondément bouleversé.
La politique étrangère de Trump annonce un virage vers un partage du fardeau entre les alliés de l’OTAN, poussant les pays européens à assumer davantage leurs responsabilités en matière de défense et à reconsidérer leurs partenariats avec les États-Unis. Ce changement contraint les dirigeants européens à prendre en main leur propre sécurité, augmentant considérablement la pression pour porter les dépenses de défense à 5 % du PIB, un seuil que nombre d’entre eux avaient jusque-là refusé d’envisager. En conséquence, les marchés européens de la défense se transforment. Autrefois très dépendants des États-Unis, les pays européens réorientent aujourd’hui leurs dépenses vers leurs industries nationales, au détriment des entreprises américaines. Cette tendance se reflète dans le recul des actions des entreprises de défense américaines et la hausse des valeurs européennes du secteur.
Pour les entreprises américaines, cela représente à la fois un défi et une opportunité. Pour rester compétitives sur le marché européen, elles ont intérêt à nouer des partenariats avec des entreprises turques afin d'accéder aux programmes d'approvisionnement locaux. Déjà bien intégrées aux chaînes d’approvisionnement de l’OTAN, les entreprises turques offrent une plateforme idéale aux firmes américaines désireuses de conserver une présence en Europe. Des fabricants comme Baykar, Aselsan ou Roketsan produisent des systèmes efficaces et de qualité à des coûts maîtrisés, répondant aux besoins croissants des nations européennes. Le partenariat Repkon USA n’est qu’une première étape, et d’autres coentreprises pourraient permettre aux entreprises américaines de s’appuyer sur la base industrielle turque tout en répondant à la demande européenne de fournisseurs non américains.
Au cours du mois dernier, les actions européennes de défense ont surperformé celles des États-Unis, en raison des inquiétudes suscitées par les déclarations de Trump laissant entendre que les États-Unis pourraient ne pas défendre les alliés ne respectant pas les seuils de dépenses. Cela a incité les nations européennes à accélérer leurs investissements militaires, avec des dépenses appelées à croître fortement. Elles privilégient désormais la production nationale pour réduire leur dépendance aux fournisseurs américains, tandis que la Turquie développe sa base industrielle de défense et explore des partenariats avec les firmes américaines. Résultat : les entreprises de défense américaines voient leur valeur baisser, les marchés anticipant un glissement des achats européens vers les fournisseurs locaux.
Le rôle de la Turquie comme hub énergétique et leader régional devient crucial, notamment en tant que point de transit pour les ressources en provenance d’Irak, de la région caspienne et de la Méditerranée orientale vers l’Europe. La réouverture attendue de l’oléoduc Irak-Turquie (ITP) et l’expansion potentielle des routes énergétiques transcaspiennes renforcent cette position stratégique. En mars, le ministre turc de l’Énergie, Alparslan Bayraktar, a rencontré le Premier ministre irakien Mohammed Shia' al-Sudani pour discuter de la reprise des exportations de pétrole kurde et de l’exportation du pétrole de Bassorah via l’ITP. Les discussions ont également porté sur l’élargissement des livraisons turques d’électricité et de gaz à l’Irak, suite à la suppression par les États-Unis de l’exemption permettant à Bagdad d’importer de l’électricité iranienne. À Erbil, Bayraktar et le Premier ministre du Kurdistan, Masrour Barzani, ont convenu de lever les obstacles à l’exportation du pétrole kurde via le port de Ceyhan en Turquie. Ces démarches illustrent la stratégie d’Ankara visant à renforcer les liens énergétiques régionaux et la sécurité énergétique. Alors que les entreprises américaines cherchent à compenser les pressions sur leurs marges intérieures, les investissements dans le secteur énergétique turc vont croître, en phase avec les ambitions d’Ankara de diversifier ses partenariats et de consolider son rôle de hub énergétique vers l’Europe.
La politique de l’administration Trump en faveur de la réduction de l’inflation via une baisse des prix du pétrole a également des répercussions importantes sur les marchés énergétiques mondiaux. Les attentes d’un pétrole bon marché freinent l’expansion des forages domestiques aux États-Unis, les producteurs craignant pour leurs marges. À la place, les entreprises énergétiques américaines cherchent de nouveaux marchés à l’étranger, avec la Turquie, l’Irak et la Libye en tête. Parmi les accords récents figurent le partenariat Continental Resources-TPAO pour l’exploration de ressources non conventionnelles et l’accord entre ExxonMobil et BOTAS pour le commerce de gaz naturel liquéfié.
Les relations américano-turques évoluent face aux nouveaux équilibres transatlantiques en matière de défense et d’énergie. Le retrait temporaire du soutien financier et du renseignement américain à l’Ukraine, dans le cadre des efforts de Trump pour un cessez-le-feu (soutien ensuite rétabli), a poussé les Européens vers l’autonomie, créant à la fois des risques et des opportunités pour les entreprises de défense américaines. Pour conserver l’accès aux marchés européens, ces entreprises devront s’adapter en nouant des partenariats stratégiques, y compris avec les firmes turques. Parallèlement, la reconfiguration du paysage énergétique pousse les entreprises américaines à investir en Turquie et dans la région, maintenant des liens économiques étroits entre les deux pays. Malgré les tensions géopolitiques, la coopération en matière de défense et d’énergie offre une voie pragmatique pour l’avenir des relations américano-turques.
Peu de choses sont simples dans les relations entre Washington et Ankara, et le contexte actuel présente à la fois des obstacles et des opportunités. Les effets des droits de douane sur le commerce transatlantique demeurent incertains au premier semestre 2025, y compris dans le secteur de la défense, bien que la taxe de 10 % imposée à la Turquie semble pour l’instant relativement avantageuse par rapport à d’autres marchés. L’instinct de localisation et de nationalisation des productions industrielles, à la fois aux États-Unis et en Turquie, représente un frein pour les projets d’envergure. L’instabilité politique intérieure en Turquie peut également engendrer de la prudence à Washington ou de l’hésitation du côté des entreprises américaines, craignant un impact négatif sur les marchés ou les fournisseurs turcs.
Mais ces préoccupations, bien que réelles et importantes, ne l’emportent pas sur le besoin croissant qui a motivé la création de l’ATBR. Un engagement renforcé entre les États-Unis et la Turquie est essentiel pour maintenir l’influence stratégique américaine au sein de l’OTAN, sur les marchés européens de la défense et dans le domaine de la sécurité énergétique régionale. Cet engagement favorise également la résilience des chaînes d’approvisionnement et la capacité de montée en puissance militaire en cas de crise future.
Le Congrès américain aurait tout intérêt à soutenir une coopération industrielle plus étroite en matière de défense, y compris via des accords de production conjointe, pour maintenir la compétitivité des entreprises américaines en Europe et leur implication en Turquie. Renforcer les investissements américains dans l’énergie turque contribuerait à la sécurité énergétique transatlantique et à la réduction de la dépendance envers des fournisseurs adverses. Enfin, le rétablissement de dialogues diplomatiques et sécuritaires de haut niveau permettrait de contrer l’influence russe et chinoise tout en assurant la pérennité des intérêts économiques et sécuritaires américains.
Un partenariat américano-turc plus solide n’est pas seulement souhaitable – il est, à bien des égards, une nécessité stratégique.
Source : Article rédigé parGregory Bloom,conseiller principal au Scowcroft Center for Strategy and Security de l’Atlantic Council et chercheur non résident au sein du programme Turquie de l’Atlantic Council. Il est également directeur des opérations de Jones Group International (JGI).
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